Une composition humain-baleine / Sur une couronne de haut-parleurs (9.1)
Aline Pénitot compose concrètement de la musique dans la lignée de la
démarche de Pierre Schaeffer1 ou Luc Ferrari. Elle décèle le potentiel musical
des sons captés par des microphones en studio ou dans la nature. Elle ne
s’attarde pas sur les hauteurs ou le rythme mais la vie intrinsèque des sons
(profil de masse, dynamique, timbre, grain, allure…) pour inventer des processus
de composition. C’est avec cette écoute particulière, que l’on appelle
« l’écoute réduite », qu’elle découvre des similitudes timbrales stupéfiantes
entre le basson et les chants de baleines à bosse. En les mélangeant, ni Aline
Pénitot, ni Olivier Adam, ni Brice Martin, le bassoniste, ne savent reconnaître
ce qui vient du basson ou de la baleine. Pour La Réponse de la baleine à bosse /
phase 1 – Tentative de dialogue, elle compose une pièce qui déroule la pensée
d’Oliver Adam pour fabriquer un renversement du point d’écoute vers celui
de la baleine. En partant de l’avis très singulier d’un chasseur inuit, cette pièce
traverse la Litany for The Whale de John Cage en l’entremêlant aux leitmotivs
des cétacés. D’étranges similitudes entre les chants de baleines à bosse et le
basson apparaissent, à moins qu’il s’agisse d’une plongée en apnée en eaux
profondes au milieu d’une couronne de haut-parleurs. Chacun des concerts
est précédé d’une conférence d’Olivier Adam et l’on peut entendre combien ses propos éclairent la composition qui survient. Chaque concert-conférence est l’occasion d’échanges sans fin avec le public qui se prolongent parfois au café du coin.
Il semble aujourd’hui important de proposer ces recherches musicales aux baleines et d’inventer une manière d’interagir avec elles. D’en profiter aussi pour approfondir notre empathie. D’en profiter pour inventer une interface qui puisse aussi être utilisée par tous.
La pièce électroacoustique issue de ces interactions enregistrées en mer développera trois tableaux issus des matériaux proposés aux baleines et comment ils se transforment lors des interactions : une approche, un dialogue, une immersion vers les mondes sous-marins.
Vers la création d’une interface humain-machine-baleine
Olivier Adam est avant tout bioacousticien, spécialiste du traitement du signal, spécialiste des chants de baleines à bosse ; Aline Pénitot a fait des études de compositions électroacoustiques qui entremêlent les techniques du son, leurs traitements numériques et la composition. L’interface numérique qu’ils imaginent aurait de nombreuses retombées sur les questions scientifiques actuelles ; il s’agit également du premier instrument de la lutherie numérique permettant de jouer à partir des sons émis par les baleines et avec les baleines.
La pollution sonore des océans par les activités humaines ne cesse d’augmenter
et son impact sur les cétacés est maintenant prouvé. L’interface n’a pas vocation à devenir une appli qui participerait à la pollution sonore des océans. Bien au contraire, conscients que la mer n’est pas le monde du silence, Olivier Adam et Aline Pénitot souhaitent initier un tout autre rapport des humains aux animaux, un rapport qui tiendrait enfin compte de la perception intelligente et sensible des baleines.
La conception de l’interface n’est donc pas uniquement une question technique. Elle suppose une sérieuse écoute des chants de baleines pour s’en extraire peu à peu afin de chercher à dépasser notre écoute humano‑centrée.
En empruntant le chemin ouvert par le compositeur Pierre Schaeffer, Aline Pénitot propose une écoute des phénomènes sonores (et non plus leurs caractéristiques musicales classiques). Elle cherche à aborder ce que Pierre Schaeffer appelle le « langage des choses » afin de se « libérer du conditionnement de ses habitudes antérieures ». La création de cette interface
suppose plusieurs étapes réalisées au sein du Lam et développée grâce à Maxime Lance, ingénieur du son, développeur d’interfaces sonores pour Césaré, centre national de création musical de Reims. Elle sert à transmettre des sons depuis le bateau, enregistrer les réponses des baleines à bosse et à transformer les sons proposés initialement. Et ce dans un continuel allerretour entre l’humain et l’animal.
L’interface n’est pas seulement un outil à destination d’Olivier Adam, Aline Pénitot et des baleines, mais elle sert également aux actions de médiation menées notamment auprès des plus jeunes comme des grands. L’interface sera donc à la fois développée pour interagir avec les cétacés mais aussi pour que le tout public puisse jouer avec elle.