Archives pour la catégorie Whales

Rémoras, John Cage et haut-parleur.

Quand deux rémoras, poisson-requin parasites, s’acclimatent aux silences d’une composition de John Cage. Lundi 26 juin 2017 – Réunion

C’était hier et déjà les impressions se recomposent.

Des impressions en aller-retour qui buttent à toute chronologie.

A chaque déroulement de la pensée, elle repart en arrière et scrute une explication dans les détails. Qu’est-ce qu’il s’est passé exactement sur ce bateau, au large de la baie de Saint-Paul côte ouest de la Réunion ?

Au sortir du port, une houle inhabituellement longue.

Une houle inhabituellement longue qui porte à la côte.

A quel moment, et pourquoi à ce moment là, j’ai sorti un haut parleur pour le mettre à l’eau. Je l’ai accroché au taquet bâbord arrière qui sert normalement à souquer l’amarre au ponton. Le bout n’est pas accès long ; le haut parleur n’était plongé que d’une dizaine de centimètres sous l’eau.

Nous sommes quatre à bord, joyeux, nous venons de croiser quelques dauphins, nous venons d’enregistrer quelques clics de dauphins. De subtiles clics.

La houle inhabituellement longue ne cesse de grossir et il faut se mettre à son rythme pour observer le plan d’eau. Chercher un souffle, scruter un dos, le signe d’une baleine à bosse dans le creux d’une ondulation de l’océan indien. Pour le moment pas de souffle, pas de dos.

Est-ce que nous sommes allés plus loin ou est-ce que nous nous sommes rapprochés de la côte.

A un moment, des pécheurs nous disent qu’ils avaient vu une baleine, hier. Plutôt vers la côte. Dans un endroit calme. Je crois que le plan d’eau est devenu plus calme.

Du moins si l’on parle des sensations sur le bateau.

Parce qu’au loin, assurément, la houle.

Parce qu’au proche, les vagues éclatent l’île.

Et réveillent les désirs enfouis de surf. De gros surf.

De gros surf empêché à la Réunion depuis la crise requin.

De vagues amples qui ne seront pas surfées.

Qui ne seront plus surfées avant très longtemps.

Ne pas dire jamais.

Ne pas penser jamais.

Pas de souffle.

Pas de dos.

Alors dans la conversation à bord, on reparle de l’accident de la semaine dernière. D’un « mais-ça-ne-peux-pas-m’arriver-à-moi » qui est parti surfer quand même, qui est parti surfer quand même en eaux troubles. Dans l’expression, dans les mots qui sortent sur le bateau, on dénonce l’idiotie, l’amateurisme, l’adolescence. Dans les mots qui ne se disent pas, le désir de surfer ces vagues qui éclatent l’île. Je pense à Saint Leu, à cette vague gauche mytique qui n’est plus surfée. A la mort d’un vague.

Ne pas penser.

Pas de souffle.

Pas de dos.

L’ampleur, la longueur s’envisage. Celle-là qui ferme sur la grève du port se déroule dans le mauvais sens. Celle-ci par contre.

Quelle élégance.

Chacun se reconcentre sur l’observation du plan d’eau.

On s’interroge sur la quantité de jacinthes d’eaux qui meurent à la surface de l’océan salé.

Pas de souffle.

Pas de dos.

Et un nouveau silence.

Je sors le haut-parleur à l’arrière du bateau.

Marion balance un hydrophone dans l’eau.

J’envoie la Litany for the Whale de John Cage sous le bateau.

On développe des hypothèses sur la quantité de jacinthes d’eau qui meurent à la surface de l’océan salé.

Et Marion crie : « shark, shark ».

Bertrand saute dans sa combi et sort son appareil photo.

Il est déjà à l’eau. Je n’ai encore rien vu. Carole veille sur le plan d’eau.

Pas un souffle, pas un dos.

Prendre une combi, doubler la prise par un autre hyrdophone, ou sortir son appareil photo. Je ne pense plus.

Pendant ce temps la Litany for the Whale joue sous l’eau.

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Question musicale, soupir musicale, réponse musicale, silence musicale

Long silence – long silence a-musical. Ou pour le moins a-musicien. Paranthèse sur ce qui passe dans le haut-parleur. Sur cette Litany for the Whale, écrite en 1980. Quelques années après la publication de Payne et Mac Vay dans Sciences. Peut-être en parler plus tard, en parler encore et encore.

Mais lors de l’enregistrement de Brice Martin au basson, je lui avais pour consigne de signifier un vrai silence, de ne pas le lier l’ensemble des récitation-question et des response. Alors dans sa tête, pour le tromper il devait réciter wistiti-carambar avant de passer à la prochaine recitation-question.

Question, soupir, réponse, silence.

Long silence.

Je n’ai encore rien vu.

Question, soupir, réponse, silence

Long silence

Deux rémoras apparaissent à l’avant du bateau et longent la coque vers le haut-parleur.

Coté bâbord.

Question, soupir, réponse, silence

Long silence

Deux rémoras s’en vont par l’avant du bateau dans les profondeurs.

Question, soupir, réponse, silence

Deux rémoras apparaissent à l’avant du bateau et longent la coque vers le haut-parleur.

Long silence

Deux rémoras nagent aléatoirement. Et s’en vont à l’avant du bateau dans les profondeurs. Elles hésitent.

Question, soupir, réponse,

Long silence

Deux rémoras s’en vont par l’avant du bateau dans les profondeurs.

Question, soupir, réponse,

Deux rémoras apparaissent à l’avant du bateau et longent la coque vers le haut-parleur.

Long silence

Deux rémoras s’en vont par l’avant du bateau dans les profondeurs.

Question, soupir, réponse,

Deux rémoras apparaissent à l’avant du bateau et longent la coque.

Et approchent le haut-parleur.

Long silence

Deux rémoras s’en vont par l’avant du bateau dans les profondeurs.

Question, soupir, réponse,

Deux rémoras apparaissent à l’avant du bateau et longent la coque.

Et approchent le haut-parleur.

J’arrête la Litany for the Whale

Deux rémoras s’en vont par l’avant du bateau dans les profondeurs.

J’apprends qu’une rémora est dite phorétique. Un mot qui selon les interprétations veut dire parasite ou mutaliste. Une espèce transportée par une autre. Mauvaise nageuse, la rémora se colle à un grand requin, une baleine à bosse, un dauphin, une tortue.

Son partenaire préféré est le requin.

Si je n’avais pas arrêter la Litany for the whale, est-ce que les rémoras se seraient ventousé au haut-parleur ? A la coque du bateau ?

Qui rode dans les fonds ?

La baleine à bosse aperçue hier par les pécheurs ? Un requin ?

Les rémoras se sont-elles décrocher pour s’approcher du haut-parleur ?

Et qu’auraient-elles fait si la pièce de John Cage ne comportait pas de silence.

Si cela avait été une autre pièce. Ont-elles confondus le son du basson qui joue la Litany for the Whale et celui d’une baleine à bosse ? Est-ce qu’elles jouaient les sentinelles d’une baleine cachée dans les fonds ?

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Circulaire – relecture queer de Moby Dick

Reviens d’un repérage magnifique dans un ancien couvent dominicain. Reviens extrêmement troublée d’une relecture queer de Moby Dick par Camille de Toledo et comprends enfin ce que je cherche dans la composition circulaire de réponse de la baleine à bosse. Et ce qu’il y a de vertigineux dans le fait de jouer cette pièce faite de chants de baleine dans la nef d’une église à la fois en multicanal et en multidiffusion sur une couronne d’enceintes (couronne d’enceintes dans l’enceinte, vertige encore). Une église désacralisée certe, mais le sacre se serait juste niché ailleurs. Fais enfin le lien entre la Litany for the whale de Cage et le sacre (circulaire quand il devient morbide) de Stravinsky (le sacre-ifice d’une adolescente). Celui avec Debussy embrassant (en aval de Victor Segalen et en amont de Glissant comme seule la musique peut le faire) tout ce qui serait le mouvant et le trouble. Pour s’en remettre, va boire un verre-vertical de vieux rhum vieilli dans les antilles en fut de chêne (de bourgogne), construit par un menuisier-charpentier comme la voute de la nef d’une église, la coque d’un bateau, le corps d’un théâtre ou l’armature d’un cercueil. Celui de Queequeg par exemple, qu’il commande avec précision à un charpentier de marine et sur lequel il fait reproduire ses tatouages. Conclusion : penser à tatouer l’enceinte de l’église dans laquelle sera projetée la réponse de la baleine à bosse de manière circulaire. Tu me suis ? Tant mieux. Tu ne me suis pas ? Je reprends pas à pas. A un moment, il sera aussi question de projections, de directions, de tenir un cap. Mais pour le moment, il est question de circulation.

18 janvier, après une visite du Centre culturel de rencontres, les Dominicains, co-producteur de nos histoires baleinières.

Invités par Daniel Fievet pour Le temps d’un bivouac sur France Inter 1er aout 2016

Au début du mois de juillet 2016, dans l’après-midi, heure de Paris, au petit matin heure de New-York.

Olivier Adam se réveille, quelques part non loin de New-York, prend son téléphone et nous appelle. Anne-Sophie Ladone est derrière la vitre, avec l’aide du technicien, elle ajuste le son du téléphone d’Oliver et le balance dans nos casques.  Daniel Fiévet est dans le studio 621 de Radio France, il me tend une gourde d’eau fraiche, il se place derrière le micro jaune.

Nous sommes reliés, l’émission peut commencer.

J’ai pris avec moi Le passage du nord-ouest de Roald Amundsen. Je sais que je ne vais pas l’ouvrir, mais j’ai besoin du poids de ce livre. J’essaie de me décontracter en pensant de Roald Dahl a emprunté son prénom à Amundsen.

Et qu’il y a quelque chose de très enfantin dans ce que nous faisons, de fantastique aussi. Nous sommes relié de part et d’autre de l’Atlantique et nous allons convoqué les baleines sur les ondes de la radio française.

Le temps d’un bivouac, émission de Daniel Fievet pour France Inter

1er aout 2016, l’émission est diffusée alors que je suis en road trip en van avec Laurie Peschier-Pimont, nous sommes à la recherche de la vague de Maria Pita non loin du cap Finsterre.

Le piège

Dès qu’on a franchi les premiers énoncés des deux approches : celle de l’art musical et celle des sciences qui touchent à la musique (acoustique, physiologie, psychologie expérimentale, électronique, cybernétique, etc.), on découvre un problème de pure méthode, de définition des objets de la pensée, d’élucidation des processus de réflexion, qui est proprement philosophique. Trouve-t-on dans la philosophie la solution, le terme ou le moyen d’une pensée redevenue efficace ? Ce serait sans doute préjuger autant que médire de la philosophie que d’espérer y trouver si vite une issue à nos incertitudes. Ce qu’on eut lui demander, c’est de les situer, et, en particulier, de désarmer le piège des mots. Mieux avertis par une telle réflexion et surtout mieux situés parmi l’ensemble des démarches qui ont posé à la philosophie le même genre de questions, il semble possible de définir une recherche qui vise, cette fois essentiellement, le musical. Est-ce là proposer une nouvelle discipline, qui se substituerait ou se rajouterait aux précédentes ? Il est sans doute trop tôt pour le dire et pour opter entre deux attitudes également présomptueuses. Remarquons à tout le moins qu’un vide existe entre l’acoustique et la musique proprement dite, et qu’il faut le remplir par une science décrivant les sons, jointe à un art de les entendre et que cette discipline hybride fonde évidemment la musique des œuvres.  Pierre Schaeffer, traité des objets musicaux, p. 30, 31.