Le sentiment Océanique

Le sentiment océanique ce serait une expérience fulgurante, rare, illimitée. Un sentiment d’Unité, de compréhension et de conscience élargie évoquée par l’écrivain Romain Rolland, il y a plus d’un siècle. Rien de mystique, tout au plus un état modifié de conscience qui survient devant un paysage, en écoutant de la musique, en exerçant sa pensée…

Certains et certaines l’ont tant exploré qu’il a modifié le cours de leur existence et qu’ils ont organisé leur vie autour de l’exploration de ce sentiment. Apnéistes, coureurs au large, scientifiques, surfeurs, musiciens, sauveteurs en mer, pécheurs : ils et elles habitent un paysage singulier, un horizon.

Une série documentaire d’ Aline Pénitot , réalisée par Gilles Mardirossian

Pour La Série Documentaire / France Culture

1/4 L’apnée ou l’infini

Où l’on parle de froid, de vasoconstriction, de volume pulmonaire, d’eau qui libère, de détachement de soi et de la recherche d’une dissolution absolue, d’abandon total et de sécurité, d’atteindre des distances et des profondeurs vertigineuses, de l’attrait pour le grand vide. Et d’un fameux film tout bleu que l’on traverse encore et encore, comme nous le raconte Yves Vaillancourt  « Ce qui me frappe dans l’expérience des apnéistes, c’est l’abandon et le détachement. Jean-Marc Barr évoque même l’insignifiance de nos vies ».

Ou bien de toute autre chose, de bien plus archaïque, de l’attirance pour un bleu sans fin, du mythe du sauvetage des eaux…. D’une attirance pour l’illimité que décrit Yves Vaillancourt “Les poumons sont gonflés au max, c’est vrai. Mais l’ego, lui, ne l’est pas. Il s’agit plutôt d’une réduction, voire d’une disparition. Subsister avec une seule respiration, puis faire corps avec l’eau, sentir se dissoudre la frontière physique”.

Avec :

2/4 Ne faire qu’un avec le grand large

Chaque automne, je ressens le même appel marin. Pour les navigateurs au large, c’est le moment des alizées, c’est le moment des grands départs et comme le raconte Isabelle Autissier : “Le grand large commence dans la tête. A partir du moment où, depuis le bord, on regarde le large, qu’on voit la ligne d’horizon et qu’on se demande ce qui est derrière et quand on commence à avoir envie d’aller voir. C’est le grand large de la tête parce que c’est de l’imaginaire.”

Cette année, Aline Pénitot, documentariste, reste à terre, elle est en manque de récits. La littérature maritime en général l’ennuie profondément. Il y est question de voyage initiatique ou de moment de bravoure. Mais alors elle ouvre Le Grand marin de Catherine Poulain un vertige l’envahit. Il commence par « Il faudrait toujours être en route pour l’Alaska, mais y arriver, à quoi bon ».

Il est vrai que ce livre convoque des désirs puissants, des désirs d’océan et de navigations dans le grand nord. Rien de mystique dans cette expérience, rien de l’ordre de la croyance, tout au plus un état modifié de conscience, l’impression d’un corps à corps avec les courants et le monde tout entier, un détachement, une unité très simple. Quelque chose qu’il est bien compliqué de raconter à terre.

Elle se dit alors qu’il serait bon d’aller tendre le micro, d’aller écouter de grands marins, des marins d’expériences et d’accomplissement.

Avec

  • Isabelle Joschke, navigatrice en pleine préparation pour le Vendée globle nous emmène dans un entrainement d’hiver au large de Lorient sur un Imoca, son voilier de course au large. Sur Instagram
  • Isabelle Autissier, navigatrice, revient sur 50 ans de navigations et livre ce qu’elle appelle « le sentiment du cosmos ».
  • Catherine Poulain, pécheure, nous accueille dans sa petite cabane de pêche et nous amène dans cette unité si singulière explorée lors de ses périlleuses pèches au crabe et « c’est vrai que retournant vers les terriens, j’ai l’impression de retourner en moi-même, à moi-même, pffff… c’est ennuyeux, on vit avec soi-même toute sa vie, il faut aussi penser à autre chose »
  • Christelle Ferraty, médecin psychologue de la marine nationale, pour une plongée dans le ventre d’un sous-marin qui nous dévoile peut-être quelques clés.
  • Alain Gautier, navigateur

3/4 Etel ou l’attraction du bord de mer

Un soir de décembre, Vincent Courtois, fameux violoncelliste, est assis dans un bar de Belleville à Paris. Il a appelé Aline Pénitot, documentariste, pour discuter Océan. Une bien étrange conversation s’installe.

Il lui parle d’Etel, d’Etel et d’Etel que Tifenn Yvon connait bien “On ne joue pas avec la barre d’Etel. Elle nous rappelle toujours que la nature est forte et son existence en est la preuve. Elle a beau être mue par les vents et les courants, elle est toujours là. Elle résiste, toujours là.” Il décortique de son attachement à la pêche au bar, aux tourbillons du pont Lerois dont il faut se méfier quand il sort son petit cannot. Il lui parle des anciens, des anciennes, d’une rivière, d’un sémaphore, d’une barre très dangereuse, de morts. Jusque-là, ce serait une histoire bretonne fascinante parmi des milliers d’histoires bretonnes fascinantes. Mais voilà, toute amitié bue, Aline Pénitot se dit que Vincent Courtois ne l’aurait pas convoquée pour parler Océan un soir de décembre sans qu’un paysage ne se cache par-delà la conversation, par-delà les mots, sans doute dans un sentiment océanique, un sentiment décrit par Romain Rolland et qui peut survenir sans crier gare par exemple en observant un paysage ou en écoutant de la musique.

Elle comprend que peut-être, il se joue là-bas quelque chose de très étrange. Elle part avec des micros, elle s’installe au sémaphore, suis le rythme des quarts de veilles, remonte la rivière, rencontre des personnages comme Yaouenn Sabot qui scrute l’horizon “Ça invite à imaginer, à se poser des questions, à voyager. On lève le nez des dizaine de fois par jour au contact de l’horizon. Au final, le paysage, c’est aussi un membre de la famille”.

Elle revient avec des questionnements. Et puis, elle fait écouter à Vincent Courtois son paysage, ses questionnements, il prend son violoncelle, il répond, il écoute Etel.

Avec

  • Vincent Courtois, violonceliste
  • Jean-Pascal Le Hyaric, sémaphoriste
  • Tifenn Yvon, ostréicultrice
  • François Malette, patron SNSM
  • Yaouenn Sabot, garde du Littoral
  • Jean-Noël Yvon, ostréiculteur
  • Vincent Hinault, professeur d’Eps et Kitsurfeur

4/4 La puissance des vagues

Presque cachée dans un recoin du Musée Rodin, une vague en marbre-onyx en train de déferler sur trois petites femmes en bronze qui plient les genoux, une vague sculptée, il y a plus d’un siècle par Camille Claudel, un prétexte pour Véronique Mattuissi, responsable du fonds historique du Musée et Aline Pénitot, documentariste, pour imaginer ce que se racontent des trois jeunes femmes, comme le raconte Laurie Peschier-Pimont “C’est à la fois une confrontation et un désir de baigner dans la puissance. Et puis il y a vraiment cet abandon. Ce désir de céder à ce qui est, de rendre les armes en se disant que c’est la puissance qui va nous prendre si on se laisse traverser. C’est un moment où les puissances entrent en dialogue, elles entrent en écho, elles deviennent sœurs.”

Que sont-elles devenues ? Elles pourraient être scientifique, artiste, surfeuse, écrivaine et coureuse au large. Elles mesurent, quantifient, chorégraphient, explorent au large ou sur le littoral la puissance des vagues très énergétiques. Et parfois en période de tempête. Non dans un désir de conquête et d’exploit, elles vont bien au-delà pour nous raconter leur rapport à la puissance de l’océan. Une puissance paradoxale, à la la fois jouissive et sidérante car Laurie-Peschier Pimont a “ l’impression que c’est la vague qui m’a choisie. Elle me soulève, elle m’embarque, elle me roule dessus.”

Avec