Les fonds de mer d’où monte le soir qui vient

Oui, nos monuments dans les Amériques : le Bois-Caïman en Haïti, la Sierre Maestra à Cuba, le Château Dubuc à l’extrême de la Pointe de la Caravelle en Martinique, mais dont il reste à ras de terre qu’un vestige enfoui des cachots où on enfermait les esclaves débarqués là, les ruines de Saint-Pierre, la trace des couperets sur les troncs, des hévéas réapparus autour de Bélem ou de Manaus, et ainsi à la ronde : ce que les paysages, sans le secours de la pierre ni d’aucun bois travaillé, ont produit comme histoires et comme mémoire, imperceptible mais insistante.

Mais aussi, partout dans les espaces d’ailleurs : les Hauts de ciel qui s’égarent en galaxies, les brousses qui encombrent leur propre profondeur, les saveurs affolées des terres en culture, les savanes qui couvent des ombres compressées comme des bonsaïs, les sables au désert qui vous grandissent en esprit, les salines où étudier la géométrie pure, les mangroves qui lacent l’inextricables, les glaciers débordants, les fonds de mer d’où monte le soir qui vient, les toundras qui vous chavirent à l’infini, les mornes qui vous plantent tout dru.

Singuliers et semblables paysages, avec pour chacun d’eux non pas seulement son mot, mais son langage. Non pas seulement sa langue mais sa musique.

Edouard Glissant – Traité du tout monde, p.240

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Le Diamant, ancien abris pirate, sud martinique.